
L’histoire des pirates dans les Caraïbes n’est pas qu’une simple fiction de cape et d’épée : elle est inscrite dans l’ADN de la région. Bien avant l’eyeliner de Johnny Depp et les chants “yo-ho-ho”, de vrais pirates ont façonné les îles de Nassau à Tortuga. Mais quelle est la part de leur légende dans les faits, et quelle est la part des histoires à dormir debout sur des tonneaux de rhum ? Plongeons dans les archives.
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L’âge d’or de la piraterie : Une chronologie
La piraterie a explosé dans les Caraïbes entre 1650 et le début des années 1700, alimentée par les guerres coloniales européennes, les routes commerciales et les galions espagnols chargés de trésors. Les moments clés :
- 1655 : L’Angleterre s’empare de la Jamaïque, transformant Port Royal en havre de paix pour les pirates.
- 1713 : Le traité d’Utrecht met fin à la guerre de la reine Anne, laissant certains corsaires sans travail, bien que la piraterie ait déjà prospéré pendant des décennies.
- 1722 : Le célèbre pirate Black Bart Roberts meurt au combat, marquant un tournant dans l’âge d’or.
Source : British National Archives, Colonial Office records : Archives nationales britanniques, documents du Colonial Office.
Les vrais Pirates des Caraïbes
Barbe Noire (Edward Teach) : La terreur des mers
Fait : a bloqué le port de Charleston en 1718, retenant des otages en échange d’un coffre de médicaments (et non d’or).
Mythe : Le trésor n’a jamais été enterré. Les historiens attribuent cette légende à la fiction de Washington Irving de 1824.
Mort : Tué dans une embuscade navale au large de la Caroline du Nord ; son crâne aurait été transformé en gobelet.
Source : « The Republic of Pirates » par Colin Woodard (2014), citant les journaux de bord de la Royal Navy.
Calico Jack (John Rackham) : L’innovateur du Jolly Roger
Fait : Il a contribué à populariser le drapeau à tête de mort pour intimider ses proies.
Héritage : ses compagnes d’équipage, Anne Bonny et Mary Read, ont été jugées pour piraterie en 1720 – des femmes rares dans un commerce dominé par les hommes.
Source : Transcriptions de procès de la bibliothèque nationale de la Jamaïque.
Henry Morgan : Corsaire ou pirate ?
Vérité : Anobli par l’Angleterre pour avoir attaqué des ports espagnols (Panamá Viejo, 1671). Il devient ensuite lieutenant-gouverneur de la Jamaïque.
Ironie du sort : son nom figure aujourd’hui sur une marque de rhum, bien que les archives historiques suggèrent qu’il buvait surtout de la bière et du vin, les alcools distillés étant moins répandus à son époque.
Source : « Empire of Blue Water » par Stephan Talty (2007) : « Empire of Blue Water » par Stephan Talty (2007).
Havres de pirates : Réalité et fiction
Tortuga : l’île originale des pirates
La réalité : Cet îlot haïtien a servi de base au XVIIe siècle aux flibustiers français qui chassaient le bétail sauvage (« boucan »).
Mythe : dépeinte comme un repaire de fêtards sans foi ni loi, elle était en fait gouvernée par des fonctionnaires nommés par les Français.
Source : « Les boucaniers de l’Amérique » (1678) d’Alexandre Exquemelin : « Les boucaniers de l’Amérique » (1678) d’Alexandre Exquemelin, un chirurgien qui a navigué avec Morgan.
Port Royal : la « ville la plus méchante de la planète ».
Vérité : Avant le tremblement de terre de 1692, la capitale de la Jamaïque était une plaque tournante du commerce pirate, avec ses bordels et ses tavernes.
Destin : coulé par un tremblement de terre en 1692 ; des archéologues ont trouvé des objets de piraterie conservés dans ses ruines sous-marines.
Source : Rapports du projet Port Royal de l’UNESCO.
Le code pirate : Démocratie ou discipline ?
Contrairement aux représentations anarchiques d’Hollywood, les pirates menaient grand train :
- Droits de vote : Les équipages élisent des capitaines et votent sur les objectifs.
- Indemnisation des dommages corporels : Vous avez perdu un membre ? Obtenez 800 pièces de huit (environ 15 000 dollars d’aujourd’hui).
- Pas de jeux d’argent : Interdit à bord pour éviter les bagarres.
Source : « A General History of the Pyrates » (1724), attribué au capitaine Charles Johnson : « A General History of the Pyrates » (1724), attribué au capitaine Charles Johnson.
Trésor enfoui : le plus grand mythe des Caraïbes
Il n’existe qu’un seul cas documenté : Le capitaine William Kidd a caché du butin sur l « île Gardiners (New York) en 1699, loin des Caraïbes. La légende s’est développée à partir de L » île au trésor de Robert Louis Stevenson (1883).
Source : New York Historical Society : New York Historical Society, dossiers du procès de Kidd.
L’héritage moderne : Des histoires de fantômes au tourisme
Le passé pirate de Saint-Barth
La tradition locale prétend que des pirates comme Montbars l’Exterminateur se sont cachés dans l’Anse du Gouverneur. Aucune preuve n’existe, mais l’île s’appuie sur ce mythe pour organiser des festivals et raconter des histoires.
Musée « Pirates de Nassau » de Nassau
Vous y trouverez des répliques exactes d’armes de pirates et des expositions sur des navires pirates historiques, mais pas le Queen Anne’s Revenge de Barbe Noire, qui a coulé au large de la Caroline du Nord.
Source : Archives du Journal de Saint-Barth : Archives du Journal de Saint-Barth, entretiens avec des anciens dans les années 1980.
Pourquoi les légendes perdurent
Les pirates représentaient la rébellion contre les hiérarchies coloniales rigides – un fantasme de liberté qui captive toujours. Mais comme le note l’historien David Cordingly :
“La véritable piraterie était brutale, de courte durée et bien moins glamour que les films ne le suggèrent.
La prochaine fois que vous siroterez un cocktail au « rhum de pirate », rappelez-vous : Le véritable trésor est l’histoire elle-même, enfouie non pas dans le sable, mais dans des archives poussiéreuses et des épaves englouties.